Dans une vie antérieure, sorti à peine des jupons de mes parents je me suis retrouvé à 20 ans aspirant sur le bâtiment d'essais d'expérimentation Ile d'Oléron code A610 pendant une année. Ces pages sont consacrées à cette parenthèse dans ma carrière.
Le BEE Ile d'Oléron A610 en escale à Messine (Sicile) du 22 au 24 avril 1992
Sorti de l'école des mécanos de la marine le Groupement des Ecoles Energie de la Marine GEEM en tant que bouchon gras comme les marins aiment à nommer les mécanos, je me suis retrouvé adjoint du chef sur le BEE Ile d'Oléron. Le chef à bord d'un bateau de la marine, est le responsable de la machine et de la sécurité à bord (au sens incendie), il a donc un rôle essentiel. Par chance cette année là, le bateau a pas mal navigué ce qui m'a permis d'aligner les quarts et d'être lâché chef de quart machine. A 20 ans c'était un grand privilège qu'on m'accordait mais également une grosse responsabilité.
De quart à la machine
Etre chef de quart sur le BEE Ile d'Oléron, c'est comme être plongé 50 ans avant à l'époque où les postes de contrôle machine isolés et insonorisés n'existaient pas, là on était au pied des moteurs principaux avec les commandes directement fixées dessus. Et les moteurs, quels moteurs ! Deux moteurs principaux MAN 2 temps datant des années 30 avec chacun 6 cylindres de 80cm. Les quarts se faisaient dans un bruit infernal de mécanique dans une atmosphère chargée en émanation de gazole et d'huile, et de tabac puisque à cette époque révolue, on fumait également dans ces lieux là pourtant propices aux incendies. Le matin les odeurs de cuisine se rajoutaient aux autres odeurs, il fallait avoir l'estomac bien accroché pour supporter le tout !
Ce bâteau a une histoire incroyable, construit en Allemagne à Brême en 1939 comme un cargo mixte sous le nom de Mur, il est réquisitionné par la Kriegsmarine en 1942 qui le transforme en forceur de blocus (Sperbrecher n°32) en coulant notamment dans les fonds 800 tonnes de béton. Je me souviens très bien de tout ce béton qu'on pouvait voir dans les fonds du navire et qui le rendait très stable, trop stable pour les essais de missiles pour lesquels il a été transformé, au point qu'il a doté plus tard d'ailerons latéraux chargés de le faire rouler et de simuler une mer formée même avec un temps de curé. Revenons donc en 1942 où il a été basé à Royan sous le nom de München, fin 1944 il est transformé en navire hôpital, mais vu le manque de carburant il restera à quai à Saint Nazare comme bâtiment base pour plongeurs. A la libération, il est capturé en parfaite condition de fonctionnement et réquisitionné comme prise de guerre par la France qui le nomme Ile d'Oléron. Il est affecté comme transport de personnel comme le Pasteur, et sert à rapatrier des familles et des troupes d'Afrique du Nord et occidentale, d'Indochine ou de Madagascar jusqu'en 1952 où il est mis en réserve. Les journaux de bord sont plein d'anecdotes de cette période avec notamment des accouchements à bord !
A partir de 1958 il est profondément modifié en bâtiment d'essais et d'expérimentation pour tester les systèmes d'arme de missile. Il travaille conjointement avec le centre d'essais de Méditerranée situé sur l'île du Levant chargé du suivi des essais, pendant cette période ils tirent des centaines de missiles du masurca jusqu'à l'Aster et testent les radars et systèmes de conduite de tir associés. Il a été désarmé en 2002 après plus d'une soixante d'années de service et envoyé par le fond en 2003 au large de Toulon en tant que coque Q800.
J'ai fait un tri de mes photos argentiques de l'époque qu'on retrouvera dans ces pages :
- lors d'un passage au bassin
- en mer
- à quai à Toulon ou ailleurs en Méditerranée
- la salle machine qui est restée dans son jus des années 30
- et mes carnet de notes de chef de quart machine qui expliquent le fonctionnement des moteurs principaux
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