FUNIX

Les inégalités entre l'outre-mer et la métropole : cas particulier de l'île de la Réunion


Partie 1

Une évolution nécessaire du modèle socio-économique sous forte contrainte

Partie 2

Les leviers de réduction des inégalités

Conclusion


Introduction

Titre 3 : L'Union européenne et les autres acteurs du développement



L’État et les élus locaux ne sont pas les seuls acteurs du développement de l’île, ce chapitre évoque les autres acteurs qui ont chacun leur rôle respectif dans leur domaine d’activité dans la réduction des inégalités.

3.1 Le soutien de l'Union européenne pour l'outre-mer

3.1.1 Pour une adaptation des règles, normes et règlements de l’Union européenne aux spécificités des départements et régions d’outre-mer

D’une manière globale les départements et régions d’outre-mer souffrent de l’étroitesse de leur marché et de la proximité géographique de pays à la législation du travail bien plus souple et au coût de la main d’œuvre plus faible. Certains de ces pays ont même un Accord de Partenariat Économique avec l’Union européenne qui leur permet d’avoir un accès privilégié au marché européen et leurs produits viennent en concurrence directe avec ceux des départements et régions d’outre-mer. C’est le cas par exemple de Madagascar qui voit sa filière de production de sucre en partie subventionnée par l’Union européenne. Lors des discussions sur le projet de résolution sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques[213], Eric Doligé souligne le côté aberrant du système où on impose à l’agriculture ultramarine des normes européennes rigides et inadaptées, pensées pour le climat européen alors que l’Équateur englobé dans l’accord « est déjà le premier exportateur de bananes en Europe et traite quarante fois par an avec une cinquantaine de produits phytosanitaires quand les producteurs français traitent sept fois avec deux produits autorisés seulement ». L’Union européenne au nom de la libre circulation des produits et services et de la libre concurrence rechigne par ailleurs à activer les clauses de sauvegarde temporaires visant à protéger les produits européens. Dans le même ordre d’idée, l’Union européenne restreint la pêche pour préserver la ressource alors que les zones de pêches autour des départements et régions d’outre-mer sont dans des situations qui n’ont rien à voir ce qu’on peut trouver autour du continent européen et bénéficient au contraire d’une ressource halieutique abondante. On peut rajouter également que l’empilement des normes a conduit à la disparition des pêcheurs qui vendaient leur pêche du jour en bord de route, outre la disparition d’une tradition qu’on pouvait qualifier de pittoresque, cette interdiction a contribué au déclin de la petite pêche traditionnelle qui n’a pas su s’adapter.

Concernant l’inadaptation des normes européennes, le rapport d’information de la délégation Sénatoriale aux outre-mer déposé le 29 juin 2017 au sujet des normes dans le BTP[214] note que « les besoins en logement des outre-mer ne sont pas satisfaits à un rythme suffisant et à un coût soutenable aujourd'hui » et au final « l'architecture actuelle des normes applicables au BTP pénalise de façon disproportionnée les populations, les entreprises et les maîtres d'ouvrage ultramarins, qu'elle complique et renchérit la réalisation des programmes de construction et qu'elle bride le développement économique et l'innovation ».

Il convient donc que les départements et régions d’outre-mer puissent profiter pleinement des dispositions de l’article 349 du TFUE[215] leur permettant d’adapter certaines dispositions de l’Union aux contraintes particulières de ces régions. Le processus de dérogation est toutefois relativement lourd, il est décidé au niveau du Conseil sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. La France, l’Espagne, le Portugal ont à ce jour exprimé plusieurs requêtes vers l’Union européenne pour une meilleur prise en compte des RUP en systématisant les études d’impact, au travers d’une politique forestière adaptée ou bien encore pour faciliter l’insertion régionale. Ces demandes sont toujours en instruction. Pour aller encore plus loin et limiter la dépendance de l’outre-mer à l’importation de produits aux normes certifiés CE, l’Autorité de la concurrence[216] suggère également de mettre en place localement un système de certification CE de produits locaux ou issus de la région réputés de qualité équivalente.

Dans son discours de clôture de la conférence des régions ultrapériphériques en Guyane du 27 octobre 2017[217], Emmanuel Macron invitait dans une approche incantatoire la communauté des régions ultrapériphériques « à envisager une approche innovante de l’article 349 dans les territoires. Devons-nous considérer que l’adaptation a priori des normes les unes après les autres est la seule voie possible ? Je ne suis pas sûr. Sans rien renier des objectifs des politiques de l’Union, nous pourrions imaginer un système d’adaptation plus simple et plus souple ». Il reste à connaitre quel pourrait être ce système d’adaptation simple.

3.1.2 Le maintien des fonds structurels et des spécificités

Les régions ultrapériphériques de l’Europe dont fait partie la Réunion bénéficient actuellement de divers fonds européens au titre des fonds structurels et d’investissement européens (FESI).

 

Fonds alloués aux RUP au titre des fonds ESI

En milliards d’euros

Fonds européens de développement régional (FEDER) dont enveloppes spéciales RUP et coopération territoriale européenne

5

Fonds social européen (FSE) dont l’initiative pour l’emploi des jeunes

1,9

Fonds européen pour le développement rural (FEADER)

1,5

Programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité(POSEI) financés par les fonds européen agricole de garantie (FEAGA)

4,6

Fonds européens pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP)

0,3

Total

13,3

 

Tableau 8 : Fonds alloués aux RUP pour la période de programmation 2014-2020 (source UE)

 

Ces fonds bénéficient largement aux six régions ultrapériphériques français qui perçoivent 25% du FEDER et FSE perçus par la France et contribuent à leur développement. Pour la Réunion le total de ces programmes sur la période 2014-2020 représente 2,2 milliards d’euros et s’articule autour de la stratégie Europe 2020[218] avec trois axes de développement :

·         dynamiser la montée en compétence, l’accès à l’emploi et la cohésion sociale ;

·         investir dans les leviers de croissance et améliorer la compétitivité des entreprises ;

·         optimiser les performances du territoire.

Les aides européennes ont un rôle majeur dans le financement des projets de développement économique de l’outre-mer sachant que ces fonds peuvent couvrir jusqu’à 100% d’un projet. Les grands projets concernés portent notamment sur l’infrastructure routière, les réseaux de distribution, les établissements d’éducation ou les hôpitaux. À la Réunion, les chantiers sont nombreux et diversifiés[219], on peut compter celui terminé de la route de tamarins qui fût en son temps le plus grand projet cofinancé par la politique régionale européenne en France[220].


 

Photographie 17 : La route des tamarins (source https://www.reunion.fr/decouvrir/activites/routes-thematiques/l-incontournable-le-tour-de-l-ile-de-la-reunion/route-des-tamarins)

 

Actuellement on trouve le chantier de la nouvelle route du littoral pour un montant de 100 millions d’euros, puis un chantier de réfection de l’aéroport principal de l’île, on trouve encore la construction d’un lycée, la mise à hauteur d’une station de traitement d’eau, des aménagements d’espace public jusqu’à la construction d’une entreprise de production de viennoiseries industrielles au titre de l’aide aux PME !

Malgré cela la Cour des comptes[221] note que les défauts de programmation des investissements entraînent un faible niveau de consommation du FESI laissant planer le risque que la Commission récupère d’office les crédits non employés. Pour le FSE au 31 décembre 2016, le taux d’utilisation était de seulement 19% contre 32% au niveau national. Pour la Réunion, la Cour des comptes relève le très faible taux d’utilisation des crédits dédiés à la politique de l’eau alors que les besoins sont criants. La Cour des comptes pointe encore le problème de qualification et de recrutement de personnels qualifiés pour conduire des projets complexes, cela rejoint la problématique du faible taux de cadres de niveau A qualifiés dans les collectivités locales réunionnaises développée précédemment.

Concernant l’octroi de mer, l’Union européenne a admis au titre de l’article 349[222] qu’il pouvait y avoir une fiscalité différente. Pourtant la Commission s’est toujours montrée réticente à son encontre car cette taxe reste une anomalie dans le droit européen. Déjà en 2002, la demande de pérennisation était rejetée par l’Union européenne car insuffisamment étayée pour être finalement prolongée pour 10 ans dans la décision du 10 février 2004[223]. En 2008, la Commission européenne a accueilli avec fraîcheur le rapport d’étape produit par la France sur l’impact de l’octroi de mer sur le développement de l’économie locale critiquant le manque d’outils statistiques. À la fin de l’autorisation de la décision du 10 février 2004, les négociations ont été particulièrement intenses et la Commission a consenti à reconduire par deux fois pour une durée de 6 mois l’autorisation jusqu’à concéder la décision actuelle[224]. Elle liste en annexe les produits essentiellement locaux bénéficiant du dispositif, elle est valable jusqu’au 31 décembre 2020. On peut noter que les décisions précédentes avaient une durée de validité de 10 ans alors que celle-ci a une durée de seulement 6 ans, ce qui conduit à s’interroger sur l’avenir européen de l’octroi de mer d’autant que les dérogations n’ont pas vocation à rester permanente. À noter que dans cette décision il est demandé qu’ « au plus tard le 31 décembre 2017, la France devrait soumettre un rapport relatif à l'application du régime de taxation mis en place afin de vérifier l'incidence des mesures prises et leur contribution au maintien, à la promotion et au développement des activités économiques locales ». Cela rappelle donc que cette dérogation est loin d’être acquise. Par ailleurs les décisions concernant les régions ultrapériphériques se prennent à l’unanimité, considérant que seuls trois membres disposent de régions ultrapériphériques face à une grande majorité qui n’en dispose pas, le consensus est loin d’être acquis. On peut craindre également un moindre intérêt des institutions européennes au sujet des régions ultrapériphériques qui pourrait se traduire par une moindre tolérance à leurs spécificités.

Toutefois le 24 octobre 2017, la Commission a publié la 5ème communication de l’Union européenne à l’égard des régions ultrapériphériques[225] qui donne les grandes orientations à venir de la politique à l’égard des régions ultrapériphériques. Cette communication se veut rassurante car elle réaffirme « l’atout extraordinaire » que représente les régions ultrapériphériques au sein de l’Union européenne qui « contribuent à son enrichissement économique, culturel et géographique. Elles lui donnent un accès stratégique à la mer et lui fournissent un patrimoine naturel unique en accueillant 80 % de sa biodiversité ». Par ailleurs la Commission partage le constat du retard économique et social des régions ultrapériphériques et la nécessité de « déployer davantage d’efforts afin de permettre aux régions ultrapériphériques de profiter pleinement des avantages de leur adhésion à l’Union européenne et de trouver leur place dans la mondialisation ». On comprendra que les dispositifs d’aides au développement seront reconduits.

L’Union européenne réaffirme également le principe « d’adapter les politiques de l’UE à leurs situations, tel est d'ailleurs l’objectif poursuivi par un grand nombre des mesures proposées dans la présente communication, sans compromettre la cohérence de l’ordre juridique de l’Union. Autrement dit, il faut trouver un équilibre entre, d’une part, la nécessité de traiter les régions ultrapériphériques comme des régions européennes, avec tous les droits et obligations que cela implique et, de l’autre, celle de reconnaître de manière proactive leur contexte géopolitique et économique spécifique ». En revanche dans le détail, on ne sait pas comment se traduira cette volonté sur l’adaptation des normes et sur le devenir de l’octroi de mer.

La commission reconnait également qu’une attention particulière doit être portée lors des négociations d’accords commerciaux et que « les préoccupations et les intérêts des régions ultrapériphériques soient dûment pris en considération, le cas échéant, dans les analyses d’impact et l’évaluation des politiques ».

En outre, la communication présente quelques nouveautés dans les rapports avec les régions ultra périphériques avec notamment :

·         la création d’une plateforme ad hoc « pour échanger des points de vue sur les intérêts et les préoccupations des régions ultrapériphériques, réunissant la Commission, les autorités nationales et les autorités des régions ultrapériphériques, ainsi que d’autres acteurs concernés » ;

·         la création de « task forces spécialisées pour répondre aux besoins spécifiques d'une région ultrapériphérique donnée, s’il y a lieu ».

3.1.3 L’adaptation des aides d’État aux RUP

Par principe les aides d’État à des acteurs économiques sont interdites car elles créent une distorsion de concurrence. La notion européenne d’acteur économique est assez extensible, elle a été posée par l’arrêt Höfner de la CJUE du 23 avril 1991[226] « cette qualification s' applique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement, à toute entité exerçant une activité économique  ». Sont donc inclus dans ce périmètre non seulement les entreprises classiques mais également les associations et les services publiques quelle que soit leur forme juridique dès lors que leur activité se déroule dans un champ économique. Les articles 107 et 108 du TFUE[227] fixent les règles d’attribution des aides d’État, à des fins de souplesse la Commission a consenti a dispensé les États membres à une demande d’attribution d’aides publiques à des acteurs économiques sous certaines conditions au travers du règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) institué en 2014[228]. Le RGEC s’est appliqué aux RUP en 2015, il permet ainsi aux États concernés d’attribuer des aides notamment dans le domaine fiscal sans la validation de la Commission. À ce titre l’octroi de mer a été inclus dans le RGEC en sécurisant ainsi juridiquement cet impôt. Les plafonds d’aide sont fixés comme suit :

·         15 % de la valeur ajoutée brute créée chaque année par le bénéficiaire ;

·         ou 20 % des coûts annuels du travail supportés par le bénéficiaire ;

·         ou 10 % du chiffre d’affaires annuel réalisé par le bénéficiaire.

Or le seul octroi de mer place la plupart les acteurs économiques qui en bénéficient largement au dessus de l’ensemble des trois seuils ! Au final le RGEC qui a vocation à simplifier les démarches administratives pour l’attribution des aides d’État se révèle être un handicap pour l’outre-mer. Conscient du problème la Commission a modifié les règles par « lettre de confort » en attendant la révision survenu en 2017 sous la pression de la France, du Portugal et de l’Espagne, seuls pays détenteurs de RUP, les plafonds des aides ont été alors significativement relevés, ils sont fixés ainsi :

·         35 % de la valeur ajoutée brute créée chaque année par le bénéficiaire ;

·         ou 40 % des coûts annuels du travail supportés par le bénéficiaire ;

·         ou 30 % du chiffre d’affaires annuel réalisé par le bénéficiaire.

L’octroi de mer et l’aide fiscale au rhum sont sortis du dispositif du RGEC à cette occasion.

3.2 Les acteurs locaux économiques et la société civile

3.2.1 Le rôle de la société civile dans la cohésion sociale

La société civile joue souvent un rôle important dans les sociétés en étant au cœur des initiatives citoyennes dans l’amélioration du bien commun. Devant la multiplicité des définitions de la société civile on se limitera à considérer tous les acteurs, groupements, organisation, groupes d’intérêts, les associations qui ont un caractère non gouvernemental et à but non lucratif et qui œuvrent pour l’intérêt général ou collectif dans différents domaines.

Le milieu associatif réunionnais[229] se caractérise par un grand dynamisme, les associations sont entre 13 000 et 15 000 et sont animées par des bénévoles dont le nombre est estimé entre 127 000 et 137 000. Pour l’année 2016-2017 on peut compter 13,1 associations nouvelles pour 10 000 habitants contre 11,1 au niveau national.

 

Répartition des créations selon les principaux thèmes

Répartition départementale (en %)

Répartition nationale (en %)

Culture

21,2

22,5

Sport

13,5

16,2

Loisirs

10,9

13,6

Social

10,9

8,1

Santé

2,4

4,1

Éducation, formation

4,6

5,9

Économie

11

4,4

Environnement

4,3

3,4

Autres (patrimoine, défense des droits, communication, aide à l’emploi, développement local…)

21,2

21,8

 

Tableau 9 : Répartition des associations suivant leur domaine (Source http://www.associations.gouv.fr)

 

1665 associations ont des salariés et 77 associations en ont plus de 50. Cela représente au total 19 680 salariés qui représentent tout de même 13,2% de l’emploi du secteur privé de la Réunion (contre 9,8 pour la moyenne nationale) dont quasiment 40% travaille au profit du domaine social. Ce sont souvent des intervenants sociaux de première ligne qui rendent des services essentiels à la population et notamment aux plus précaires.

 

 

Répartition départementale

Répartition nationale

Hébergement médicalisé

7,7

9,9

Hébergement social

6

9,6

Aide à domicile

4,4

9,5

Accueil de personnes âgées

1

0,6

Aide par le travail

3,2

7,7

Accueil de jeunes enfants

4,6

2,2

Accueil d’enfants handicapés

1,4

1,3

Accueil d’enfants et d’adolescents

1,2

0,7

Autre actions sociales sans hébergement (centres sociaux, aide aux victimes, activités caritatives…)

9,4

7,9

Ensemble du secteur social

38,9

49,4

 

Tableau 10 : Zoom sur le secteur social (Source http://www.associations.gouv.fr)

 

Les associations qui travaillent dans le domaine du social dépendent largement des financements publics. En effet on observe que l’État et les collectivités locales leur délèguent des missions de service public et donc leur attribuent les financements en conséquence. À l’échelle nationale, les associations gèrent ainsi par exemple une part substantielle des maisons de retraite et assurent quasiment la totalité de l’aide aux handicapés. Même si certaines associations viennent entacher leur réputation comme l’Aurar, elles font globalement un excellent travail pour un coût très inférieur à celui d’une structure publique sur des plages horaires bien supérieures avec un degré d’implication souvent bien plus élevé. Cette délégation est un moyen pour l’État et les collectivités locales de faire réaliser des missions de service public à moindre frais sans avoir recours à l’embauche de coûteux fonctionnaires et sans avoir à maintenir une coûteuse structure.

Pourtant le diagnostic territorial de la thématique « exclusion, lutte contre la pauvreté, accès aux droits, insertion professionnelle » réalisé dans le cadre des Assises du Travail Social pour la Réunion relève que « face à l’ampleur des situations de pauvreté (…) les intervenants sociaux de première ligne doivent se débrouiller dans un contexte marqué par l’insuffisance des réponses disponibles (…) que les restrictions budgétaires viennent encore aggraver. Un sentiment d’impuissance semble se développer face à l’ampleur et à la diversité des situations (…) Même s’ils sont formés et habitués à écouter la misère du monde, la confrontation quotidienne à ces situations et l’insuffisance de réponses des politiques publiques contribuent au découragement et à l’usure ». En clair la délégation de service public rime plus souvent avec le désengagement et l’absence de soutien de l’État et des collectivités locales sur le périmètre délégué, quand bien même les associations notamment celles qui œuvrent dans le domaine social jouent un rôle essentiel dans la gestion au quotidien des problèmes sociaux en étant au contact direct des plus démunis. Les autres associations notamment culturelles ou sportives jouent également un rôle majeur dans le maintien de la cohésion sociale.

Le rôle des associations reste minoré par les pouvoirs publics qui dans le contexte budgétaire contraint actuel n’hésitent pas à couper dans leurs financements. Celles travaillant dans le domaine social souffrent particulièrement d’un manque de reconnaissance alors qu’elles sont devenues des acteurs à part entière des politiques sociales.

Le milieu associatif est formé d’acteurs de terrain qui n’ont pas le recul suffisant, ni souvent l’opportunité et le temps d’entreprendre des réflexions sur les enjeux et les mutations de la société. Pour cela il existe le CESER qui est par définition l’institution qui réunit les acteurs de la société civile de la Réunion. Comme le CESER l’affirme lui-même[230], « il est la chambre de dialogue et de confrontation des idées, de par l’expertise de ses membres. Il est ainsi en mesure, sans conteste, dans le débat démocratique et participatif, d’apporter une vision et une plus-value sur l’analyse des différents aspects de la société réunionnaise, de ses problématiques et de ses enjeux sociaux et des mutations en cours dont elle est l’objet ». Son rôle a été conforté par la loi NOTRé[231] avec l’article 32 qui lui attribue la mission d’« informer le conseil régional sur les enjeux et conséquences économiques sociaux et environnementaux des politiques régionales, de participer aux consultations organisées à l’échelle régionale, ainsi que de contribuer à des évaluations et à un suivi des politiques régionales ». Le CESER n’a donc plus seulement un rôle de think tank consultatif, mais un rôle d’évaluation et de suivi des politiques, on peut juste regretter que ce dernier rôle se limite à la seule Région.

Comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE) national, le CESER souffre à la fois d’un manque de légitimité, d’utilité, d’efficacité et de visibilité. Pourtant le CESER est constitué de personnes de la société civile qui viennent autant du monde syndical, associatif que patronal, qui ne sont pas des professionnels de la politique, et qui portent une voix différente, proche du terrain, à la réflexion et au débat démocratique. On peut se satisfaire que la loi NOTRé ait donné un rôle actif d’évaluation et de suivi au CESER mais son rôle demeure insuffisant compte tenu des enjeux actuels.

3.2.2 Le rôle des syndicats

La lutte syndicale à la Réunion a commencé timidement peu avant la première guerre mondiale, l’historien Prosper Ève dans une étude intitulée « Tableau du syndicalisme à La Réunion 1912-1968 »[232] note « que L’ouvrier humilié, résigné a cessé d’attendre pour prétendre. Il a pris conscience de deux choses : d’abord l’opposition irréductible de ses intérêts et de ceux du patronat et ensuite, ce qui compte dans l’action syndicale, ce ne sont pas les résultats obtenus, c’est l’action elle-même, les possibilités de mobilisations des travailleurs qu’elle crée, l’incitation constante à la lutte ». L’année 1936 marque également une époque charnière du structuration des mouvements syndicaux, la Fédération réunionnaise du travail affiliée à la CGT  qui vient d’être créée défile dans les rues de Saint Denis le 11 novembre 1936 ce qui est considéré alors comme une insulte et une provocation par les classes dominantes. La seconde guerre mondiale marque un coup d’arrêt, mais le mouvement syndical reprend de plus bel au sortir de la guerre. En 1945 Raymond Vergès crée le Comité Républicain d’Action Démocratique et Sociale, en 1946 la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) s’implante à la Réunion et en 1948 c’est au tour de Force Ouvrière (FO), la Fédération de l’éducation nationale (FEN) crée également une annexe locale à cette époque.

Aujourd’hui on estime que 10 à 20 % de la population active de la Réunion est syndiquée soit dans les 150000 à 30000 personnes. Joël de Palmas, docteur en histoire contemporaine, dans une interview[233] estime que le syndicalisme à la Réunion n’est pas au mieux, pour lui « le fait syndical est incontournable, c’est un corps intermédiaire. Tout le monde en a besoin : les salariés, les chefs d’entreprises. Le mouvement syndical est jeune, d’un siècle et demi. Il y a une crise de croissance, on ne sait pas dans quel sens on va aller demain (…) Les difficultés sont à cause des facteurs comme la division syndicale, la politique et le changement de société ». Il estime également qu’il ne faut pas s’attarder sur le nombre d’adhérent pour estimer le poids du syndicat, pour preuve le nombre d’adhérents des partis politiques.

Le syndicalisme réunionnais est à l’image du syndicalisme national en perte de vitesse, victime de ses dissensions et plus prompt à défendre une petite minorité contre vent et marée au détriment de l’intérêt général. Pourtant son rôle comme le rappelle Joël de Palmas est primordial, car il agit en tant de représentant reconnu par l’État des travailleurs et à ce titre est un acteur des négociations collectives qui débouchent notamment sur la mise à jour des conventions collectives applicables par secteur d’activité. Les syndicats jouent également un rôle important de régulateur social, en laissant exprimer le malaise social sans que cela dégénère en explosion sociale.

3.2.3 Le rôle des médias

Du côté de la presse papier, le journal « le républicain ou journal politique et littéraire de l’île de Bourbon » créé en 1794 est le premier média connu de l’île de la Réunion, sa parution ne durera toutefois qu’un an. Ce n’est qu’en 1882, que le premier quotidien de l’île fera son apparition avec le journal « le créole » qui a  disparu depuis. C’est le journal « témoignages » à obédience communiste apparu en 1944 qui reste le journal le plus ancien de la Réunion. Aujourd’hui les deux quotidiens papier majeurs de l’île sont le « journal de l’île » (JIR) et « le quotidien ». La radio a fait son apparition quant à elle en 1927 et la télévision en 1964, elles connaitront une expansion significative dans les années 80 avec la libération des ondes. Le paysage audio visuel réunionnais compte aujourd’hui une cinquantaine de chaînes de radio locales et une dizaine de chaînes de télévision locales dont les plus populaires sont « radio freedom », « antenne Réunion », « Réunion 1ère » ou « Télé Kréol ».

À partir des années 2000, comme partout ailleurs le web a révolutionné les médias et mis à mal les médias traditionnels qui ont dû se réinventer.

Le rôle des médias ne se limite pas seulement au divertissement, leur rôle est d’abord de transmettre l’information en la rendant accessible à tous, au besoin par un travail de recherche d’analyse et de recherche avec l’honnêteté intellectuelle et l’intégrité qui doivent caractériser tout journaliste et qui sont le garant de sa crédibilité. Pour la Réunion les médias ne sont pas seulement là pour envoyer une image angélique de la Réunion mais également pour appuyer là où ça fait mal. On retiendra plus particulièrement les éditoriaux saignants de Jacques Tillier du journal de l'île de la Réunion sur lesquels ce mémoire s'est appuyé à de nombreuses reprises

C’est malheureusement un des rares moyens efficaces pour faire bouger les lignes et les pouvoirs publics. Les médias traditionnels principaux jouent pleinement leur rôle de mouche de coche mais leur message se trouve malheureusement souvent noyé dans la masse d’information qui sature tout un chacun et perde de leur efficacité.


Photographie 18 : La une du journal de l’île de la Réunion du 19 septembre 2018

 

Concernant les médias nationaux, on peut déplorer la place insignifiante qui est faite à l’outre-mer, preuve s’il en est du peu d’intérêt que porte la plupart des métropolitains, des gouvernants et du microcosme parisien à son encontre. On peut noter que le scandale de l’Aurar n’a pas échappé au Canard Enchaîné avec son article « des énarques enquêtent sur l’or du rein » du 8 novembre 2017, mais globalement l’outre-mer souffre d’une faible visibilité qui ne risque pas de s’arranger avec la suppression de la chaîne publique France Ô en 2020 décidée en juillet 2018 par le gouvernement dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public. Cependant comme le communiqué du gouvernement le précise[234], cette suppression doit être accompagnée, d’une « amélioration très significative de la visibilité des Outre-mer dans les programmes à forte audience des chaînes de France Télévisions ». Il en reste pas moins que ça ne devrait guère changer la perception de l’outre-mer dans les autres médias nationaux.

3.2.4 Le rôle des acteurs économiques

Un acteur économique ne poursuit bien souvent que son propre intérêt et qui se résume à faire du profit, des bénéfices et à prospérer. Pour cela il peut faire preuve de conservatisme pour préserver ses acquis ou faire preuve d’innovation pour préparer l’avenir et s’offrir de nouveaux marchés. Dans tous les cas, la société gagne à ce que les entreprises prospèrent car leurs croissances entraînent la création d’emploi et de fait la réduction des inégalités. Tous les chefs d’entreprise ne sont pas philanthropes et il est difficile de demander aux entreprises de prendre des risques financiers pour contribuer aux politiques sociales de réduction des inégalités. Le rôle des pouvoirs publics est donc essentiel pour favoriser leur développement, que ce soit au travers des marchés publics ou en mettant en place un environnement juridique, fiscal et normatif stable et adapté autant que faire se peut.

Conclusion Titre 3 : L’Union européenne et les autres acteurs du développement

Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls acteurs du changement, ils peuvent compter également sur l’Union européenne qui joue déjà un rôle globalement très positif à l’égard des régions ultrapériphériques. Elles bénéficient très largement des aides européennes pour leur développement. Le fait d’appartenir à l’Union européenne est une chance mais également parfois un frein avec une application stricto sensu des règles européennes qui se révèlent souvent inadaptées au contexte local, ou bien encore des accords de partenariat économique avec des pays voisins qui viennent pénaliser une économie insulaire déjà fragile. Malgré cela l’Europe se construit à petits pas, la dernière communication de la Commission sur les régions ultrapériphériques laisse entendre que leurs spécificités ne sont pas du tout remises en cause et que leurs préoccupations ont été prises en compte d’autant qu’une structure ad hoc de dialogue est appelée à se mettre en place.

Quant aux autres acteurs, la société civile et le monde associatif jouent un rôle prépondérant dans la cohésion sociale, le monde associatif est en particulier un acteur majeur de la politique sociale. Son rôle est souvent négligé et n’est pas jugé à sa juste valeur pourtant il gagne à être reconnu et sanctuarisé par des financements à la hauteur des enjeux. Quant au CESER, son rôle de think tank doit être également reconnu, il doit trouver sa place dans les institutions comme incubateur de bonnes idées et pratiques. On peut toutefois déplorer le rôle secondaire, voire mineur des syndicats et des médias qui gagnerait dans l’intérêt général à être revigoré.





[213] « RUP : normes agricoles et politique commerciale européenne - Sénat », consulté le 25 juillet 2018, https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr16-065.html.

[214] « Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : Faire d’un obstacle un atout », consulté le 25 juillet 2018, http://www.senat.fr/rap/r16-601/r16-601_mono.html.

[216] « Site institutionnel de l’Autorité de la concurrence (France) », consulté le 5 octobre 2018, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=683&id_article=3274&lang=fr.

[217] Présidence de la République, « Discours du Président de la République à la 22ème conférence des Présidents des RUP », www.elysee.fr, consulté le 25 juillet 2018, http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-la-22eme-conference-des-presidents-des-rup/.

[218] « Les fonds européens région par région ~ Europe en France, le portail des Fonds européens », consulté le 26 juillet 2018, http://www.europe-en-france.gouv.fr/Centre-de-ressources/Etudes-rapports-et-documentation/Les-fonds-europeens-region-par-region.

[219] « L’intervention de l’Union européenne à la Réunion : Les bénéficiaires des aides », consulté le 26 juillet 2018, http://www.reunioneurope.org/UE_beneficiaire_aides2014.asp.

[220] « La Route des Tamarins », 9 juillet 2009, consulté le 5 octobre 2018, http://ec.europa.eu/regional_policy/archive/newsroom/pdf/20090709_tamarins_press_fr.pdf.

[221] Cour des comptes, « Rapport sur les finances publiques locales 2017 », 11 octobre 2017, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-10/20171011-rapport-finances-publiques-locales.pdf.

[223] « 2004/162/CE: Décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE », Pub. L. No. 32004D0162, 052 OJ L (2004), consulté le 26 juillet 2018, http://data.europa.eu/eli/dec/2004/162(1)/oj/fra.

[224] « Décision du Conseil n °940/2014/UE du 17 décembre 2014 relative au régime de l’octroi de mer dans les régions ultrapériphériques françaises », Pub. L. No. 32014D0940, 367 OJ L (2014), consulté le 26 juillet 2018, http://data.europa.eu/eli/dec/2014/940/oj/fra.

[225] « Communication : un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l’Union européenne », 24 octobre 2017, consulté le 26 juillet 2018, http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/policy/themes/outermost-regions/pdf/rup_2017/com_rup_partner_fr.pdf.

[226] CJUE, « Arrêt de la Cour (sixième chambre) Klaus Höfner et Fritz Elser contre Macrotron GmbH. », 23 avril 1991, consulté le 11 octobre 2018, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A61990CJ0041.

[228] Commission, « Règlement 651/2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité », 17 juin 2014, consulté le 11 octobre 2018, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014R0651&from=EN.

[229] « L’essentiel de la vie associative de la Réunion », novembre 2017, consulté le 26 juillet 2018, https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/essentiel_vie_asso_reunion.pdf.

[230] CESER Réunion, « Rapport du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional de la Réunion sur le rapport Lurel sur l’égalité réelle outre-mer », 13 juillet 2016, consulté lee 18 mai 2018, https://www.ceser-reunion.fr/fileadmin/user_upload/tx_pubdb/archives/16.07.13_Avis_projet_loi_Eg._reel._adoption_Bureau.pdf.

[231] « Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République », consulté le 18 mai 2018, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030985460&categorieLien=id.

[232] Prosper Eve, Tableau du syndicalisme à La Réunion 1912 à 1968, CNH, Histoire, s. d.

[233] « Joël de Palmas: “Le syndicalisme traverse une crise de croissance” », Linfo.re, consulté le 16 août 2018, https://www.linfo.re/la-reunion/societe/le-syndicalisme-a-la-reunion.

[234] « Décisions relatives à la transformation de l’audiovisuel public », Gouvernement.fr, 19 juillet 2018, consulté le 11 octobre 2018, https://www.gouvernement.fr/partage/10417-decisions-relatives-a-la-transformation-de-l-audiovisuel-public.